Eh bien ! Qu’on me permette d’y déroger, pour une fois. Car j’entends bien mettre ici en balance le noir et le rose. Plus précisément le « vendredi noir » et le « dimanche en rose ».
« Vendredi noir » se dit en anglais « black Friday » : il s’agit d’un évènement d’une journée, qui marque, aux Etats-Unis depuis les années 60, et en Europe depuis peu, le début des courses de Noël. Attirées par d’importantes remises commerciales, les foules se précipitent avec fébrilité pour engranger en un temps record un maximum de cadeaux et de victuailles pour être parées le « Jour J ». C’est qu’il faut absolument, comme les y enjoignent les spots publicitaires, « faire de Noël un moment inoubliable ». Les biens consommables, comme naguère les amulettes et les totems, sont ainsi censés assurer la félicité. Mais puisque ces biens sont périssables, caduque aussi est la joie qu’ils procurent…
Rien de commun avec l’esprit qui préside au « dimanche en rose », comme on appelle parfois le 3ème dimanche de l’Avent, du fait de la couleur des ornements en principe utilisés ce jour-là. C’est bien la préparation de Noël qui est visée là encore, mais selon une tout autre logique. L’essentiel est dit dans l’oraison d’ouverture de cette messe : « Ton peuple se prépare à célébrer la naissance de ton Fils ; dirige notre joie vers la joie d’un si grand mystère, pour que nous fêtions notre salut avec un coeur vraiment nouveau ». La joie humaine, celle des repas de fêtes et des cadeaux échangés par exemple, n’est pas niée, mais elle est ordonnée au seul facteur capable de faire durer la joie : la venue dans la chair du Fils de Dieu.
Pour y parvenir, une certaine ascèse est requise. « Discernez la valeur de toute chose », invite l’Apôtre dans la 2ème lecture. Autrement dit, n’accordez pas à des biens relatifs une valeur qu’ils n’ont pas, n’attendez pas d’eux ce qu’ils ne peuvent vous procurer. Isaïe, dans la 1ère lecture, fait allusion à la délivrance des captifs qu’apporte le messie. Or, fixer les yeux sur sa venue imminente à Noël, c’est jouir déjà par anticipation d’une liberté à l’égard des biens faits de main d’homme, de tout ce que nous pourrions être tentés d’accumuler à la veille de cette fête pour la rendre plus heureuse. Ainsi dépouillé, comme le promet Dieu par la voix de son prophète, chacun de nous pourra être « vêtu des vêtements de salut, couvert du manteau de la justice, comme le jeune marié orné du diadème, comme la jeune mariée que parent ses joyaux ». C’est tout de même autre chose que la panoplie de pompier ou de fée, achetée à grands frais et déposée au pied du sapin !
Père Vincent Baumann